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La gestion au quotidien ou de la prévention simple

La primauté des conditions psychologiques

La clinique met en évidence des problèmes souvent sérieux qui résultent d’un défaut comportemental qu’une gestion quotidienne serait susceptible de prévenir. Néanmoins quelle que soit la qualité des connaissances disponibles, l’acceptation préalable de leurs conséquences par la personne concernée, son adhésion, est la première condition de la réussite. En effet chez les individus ayant conservé leurs fonctions cognitives et affectives, l’image qu’ils ont d’eux mêmes refuse de prendre en compte le déficit des moyens neuromusculaires et articulaires rendant aléatoire, voire risquée la poursuite de buts désormais hors de leur portée. Du moins dans les conditions antérieures d’exercice par exemple, la diminution de la masse musculaire est un facteur important dans la réduction de la force physique. Bref, la prise de conscience de sa propre baisse de performance et son acceptation sont la condition première de prévention des risques les plus fréquents. Bien évidemment, il est préférable d’anticiper les risques que d’attendre des effets désastreux pour entreprendre une prise de conscience tardive.

On peut avoir tous les schémas moteurs cérébraux du tennis encore intacts mais l’état des moyens corporels entrave lourdement leur mise en acte et génère arthrose, tendinite, chutes associée à des pertes d’équilibre. On saisit d’emblée la nécessité comme la difficulté de l’intervention psychologique, face à la stigmatisation culturelle, renforcée par les propagandes louant les bienfaits des techniques bannissant à jamais l’horreur du vieillissement. Faire accepter l’usage d’une canne peut, aujourd’hui, tenir d’une prouesse psychologique et il ne suffit pas d’être incontinent pour accepter une couche-culotte. La gestion adroite de ces problèmes demande une formation, pour ne pas parler d’information, de la part des intervenants, leur évitant au moins les maladresses de départ.

Le triple volet de la gestion quotidienne

En partant de l’expérience clinique, on peut différencier trois domaines. Les processus affectifs, les systèmes de l’équilibre et de la motricité et enfin les mécanismes de l’attention.

Les émotions déterminent l’activité quotidienne, elles lui fournissent l’énergie vitale. L’apathie, l’absence d’intérêts, illustrées par les séjours prolongés et stériles devant un écran de télévision, peuvent passer souvent pour des équivalents dépressifs. Les antidépresseurs peuvent être utiles mais leurs prescriptions faciles ne doivent pas nous dispenser d’envisager l’absence de stimulations, la fixation dans des attitudes de résignation, l’isolement social, la transplantation spatiale, résultant quelquefois de décisions malheureuses et inconséquentes, liées à la prise de retraite et à sa mauvaise anticipation. A l’opposé, l’agitation, l’hyperactivité stérile peuvent exprimer, en dehors de pathologies spécifiques, l’absence de capacité à formuler des buts simples et réalisables tout comme une anxiété sous jacente.

Le neurologue est accoutumé à constater les effets désastreux des difficultés motrices, singulièrement de la marche, des troubles de l’équilibre et des désadaptations posturales. Cet ensemble explique la fréquence des chutes. En France, 30% des personnes âgées de 60 ans et plus sont victimes de chutes. On peut aisément constater que le mauvais aménagement du cadre de vie est porteur de risques: mobilier inadapté, encombrement, désordres pervers, escaliers non protégés, tapis, moquettes malencontreux, chaussures inadéquates, comme le sont les mules, espaces de toilettes périlleux dépourvus de supports de sécurité assurant la préhension. Si le milieu social, comme le praticien, dédaignent ces facteurs, trompés par leur apparence banale, ils risquent d’être confrontés aux effets spectaculaires de « toutes ces petites choses », exactement comme l’intéressé qui rejette l’usage de la canne en raison de son aspect dégradant. Il importe évidemment d’envisager les facteurs internes conduisant à l’examen cardiaque, ophtalmologique, neurologique et les effets secondaires des médications absorbées par le sujet, réducteurs aussi manifestes que méconnus de la vigilance. Mais le milieu quotidien, les facteurs externes, sont aussi indispensables à examiner. En sont témoins ces chutes, dans certains cas fatales, lors de réveils nocturnes, en raison de l’absence d’éveil complet, d’inadaptation vestimentaire, de défaut d’éclairage pratique et d’incohérence mobilière, et qui sont à l’esprit de nombre de cliniciens. Enfin, comme on l’a dit plus haut, une curiosité de professionnel doit s’exercer à l’égard des activités de certains sujets, adonnés aux prouesses physiques programmées mais redoutables, même quand elles ne sont que d’intérêt domestique, comme les peintures sur échelles ou échafaudages. De telles activités aventureuses, pouvant, il est vrai, alimenter la fontaine de jouvence, ne doivent pas être sous estimées.

La capacité attentive si elle s’avère réduite peut, en appauvrissant la saisie des informations disponibles, altérer les capacités cognitives, engendrer des maladresses et réduire la mémorisation. On peut négliger à tort l’importance de cette dimension et faire, comme le sujet, c’est à dire mettre sur le compte d’un trouble de la mémoire ce qui est en fait une insuffisance de l’attention. L’altération des capacités attentives, en particulier la réduction de la vitesse de leurs mécanismes est une notion connue dans les phénomènes de vieillissement. La prise de conscience individuelle permettra un contrôle de l’attention. On utilisera la médiation verbale, mise au point par certaines techniques cognitives (cf. les travaux du psychologue canadien D.Meichenbaum), où l’acte est décomposé et commenté mentalement avant et au cours de son exécution.

L’équilibre entre les fonctions affectives, cognitives et physiques, fondement de l’hygiène de vie, doit se construire et se poursuivre tout au long de l’existence en s’adaptant au devenir physiologique et psychologique. Il peut reposer sur des mécanismes simples qui, devenus automatiques, risquent d’être malencontreusement oubliés et négligés et surtout considérés comme définitivement acquis. Le temps est à l’œuvre partout dans cet univers, à nous d’en tenir compte et d’y conformer notre vie. Pratiquement, avant d’entreprendre des examens para cliniques fastidieux et coûteux, attachons nous d’abord à ce qui est simplement sous nos yeux, là sont peut-être les vraies solutions. C’est ce que nous devons faire comprendre et partager à ceux qui ont besoin de notre aide dans la simple gestion de leur existence quotidienne.

Docteur Evelyne Lasserre Gay, Neurologue 
Professeur Jacques Corraze, Psychiatre 
Institut de Formation en médecine psychosomatique