Lors d’une web conférence organisée le 6 mars par AB Science, trois éminents neurologues ont détaillé les résultats positifs de l’étude clinique de phase 2B/3 du masitinib dans les formes progressives de la sclérose en plaques (PPMS et de nSPMS). Une molécule au mode d’action unique qui pourrait venir combler le manque de traitements contre ces formes de la maladie.
La web conférence était animée par trois professeurs de neurologie, qui comptent parmi les principaux spécialistes et leaders d’opinion sur la sclérose en plaques (SEP) en Europe ou aux Etats-Unis.
L’Américain Robert J. Fox est neurologue au centre Mellen pour la SEP à Cleveland, professeur de neurologie au Cleveland Clinic Lerner College of Medicine et vice-président de la recherche à l’Institut de neurologie de la clinique de Cleveland. Ses recherches sont centrées sur les essais cliniques dans la SEP, les techniques d’IRM innovantes et les effets des traitements dans la SEP.
Membre du conseil d’administration de la Fondation Charcot européenne, il est également directeur général du registre des patients Narcoms MS, qui suit actuellement plus de 10 000 personnes atteintes de sclérose en plaques. Bob Fox est aussi conseiller scientifique pour de nombreux essais cliniques, notamment pour l’essai de phase 2 de l’ibudilast (financé par le NIH, les Instituts américains de santé) dans les formes progressives de la SEP.
Chercheur principal de l’étude de preuve de concept du masitinib (publiée en 2012 dans BMC Neurology) et de l’étude de phase 2B/3, présentée lors de cette conférence, Patrick Vermersch est professeur de neurologie à l’Université de Lille, spécialiste de la neuroimmunologie et des marqueurs de l’évolution de la SEP. Il est également membre du conseil d’administration de la Fondation européenne Charcot et vice-président de la recherche en biologie et santé à l’Université de Lille.
Il participe à de nombreuses études cliniques dans la SEP en tant que membre du comité scientifique et a notamment été associé aux essais qui ont présidé à l’homologation du siponimod (Novartis) et de l’ocrelizumab (Roche), les deux seuls médicaments aujourd’hui enregistrés pour lutter contre les formes progressives de la SEP.
Troisième animateur de la conférence, l’Allemand Friedemann Paul est professeur de neuroimmunologie clinique à l’Université de médecine de la Charité de Berlin et chef de la clinique de neuroimmunologie du Centre de recherche expérimentale et clinique sur la sclérose en plaques de la Charité, qu’il co-préside.
Ses principaux domaines de recherche sont les nouvelles techniques d’imagerie dans les maladies auto-immunes du système nerveux central, le système visuel dans les troubles neuro-immunologiques et la fatigue et la cognition dans la SEP.
Un mode d’action unique pour un besoin médical non satisfait
Les trois chercheurs ont souligné le grand besoin médical non satisfait pour les personnes atteintes des formes progressives de la sclérose en plaques (PPMS et nSPMS), gravement handicapés par la progression de leur maladie (1). Elles représentent ensemble la moitié de tous les patients touchés par la SEP, soit environ 500 000 personnes en Europe et aux Etats-Unis.
« De nombreux traitements basés sur le ciblage des lymphocytes B et T du système immunitaire adaptatif sont disponibles pour les patients atteints de formes récurrentes de SEP. Mais ces stratégies ont échoué ou n’ont pas donné de résultats concluants dans la PPMS et la nSPMS », souligne ainsi Patrick Vermersch. « Bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans les formes récurrentes de SEP, les formes progressives, PPMS et nSPMS, souffrent toujours d’un manque de thérapies efficaces et complémentaires », ajoute Friedemann Paul.
Le mécanisme d’action unique du masitinib, qui soutient les données cliniques, est, pour les trois neurologues, un point très important. En effet, « les formes rémittente (RRMS) et secondairement progressive active (SPMS) de la maladie sont principalement entraînées par l’immunité adaptative périphérique – par exemple, les lymphocytes B et T…
Tandis que les formes progressives sans rémission (PPMS et nSPMS) sont principalement provoquées par d’autres mécanismes, notamment une inflammation auto-entretenue liée à l’immunité innée à l’intérieur du système nerveux central (SNC) », expliquent Patrick Vermersch et Robert Fox. En ciblant sélectivement les mastocytes et les macrophages (microglie), cellules immunitaires innées présentes dans le SNC et fortement associées à la physiopathologie de la maladie, le masitinib possède donc un mécanisme d’action pertinent contre ces formes de SEP…
Et qui se distingue de tous les traitements existants. Les résultats cliniques viennent confirmer, selon Friedemann Paul, que « le ciblage de l’immunité innée est une stratégie nouvelle et prometteuse. Cette étude montre pour la première fois que le ciblage des cellules immunitaires innées a un impact bénéfique sur l’évolution de la maladie ».
Les cellules du système immunitaire inné, mastocytes et macrophages (microglie), peuvent en effet jouer un rôle essentiel dans les formes progressives de SEP et contribuer directement à la neurodégénérescence (2). Or le masitinib inhibe sélectivement certaines kinases (c-Kit, Lyn et Fyn) jouant un rôle essentiel dans l’activation des mastocytes et inhibe également le récepteur M-CSF1 dans la microglie.
C’est ainsi qu’en ciblant le système immunitaire inné, via la modulation de l’activation des mastocytes et des macrophages, le masitinib peut ralentir ou empêcher l’aggravation de l’invalidité dans les formes progressives de la maladie.
Des résultats cliniques très prometteurs
La preuve de concept de l’action du masitinib dans les SEP progressives (PPMS et de nSPMS) a été publiée en 2012 dans BMC Neurology. Elle a été établie par une étude de validation de principe évaluant l’effet du masitinib sur le score composite fonctionnel de la SEP (MSFC). L’effet positif du traitement sur la déficience liée à la SEP a été observé dès le 3e mois et s’est maintenue jusqu’au 18e mois dans les deux sous-populations PPMS et nSPMS, avec une sécurité globale acceptable. Cette étude ayant atteint ses objectifs avec une population limitée (35 patients), cela justifiait une évaluation plus approfondie.
L’étude de la phase 2B / 3 (AB7002), dont les résultats ont été présentés lors de la conférence était une étude en double aveugle et contrôlée par placebo. Deux doses de masitinib (4,5 et 6 mg / kg / jour) ont été testées indépendamment chez des patients atteints de PPMS ou de SPMS non active, chacune avec son propre groupe témoin placebo. Au total, l’étude a recruté 600 patients.
À la dose de 4,5 mg / kg / jour, l’étude a atteint son objectif principal, démontrant une réduction statistiquement significative de la progression de l’invalidité, mesurée par le score EDSS (Expanded Disability Status Scale). Les trois chercheurs sont unanimes : « les résultats sont très prometteurs ». « Le masitinib retarde considérablement la progression de l’invalidité mesurée par la variation moyenne de l’EDSS, soit en valeur absolue, soit en variation ordinale, souligne Patrick Vermersch.
La probabilité d’avoir plus d’améliorations ou moins de progressions de la maladie est augmentée de 39 % avec le masitinib. Le délai avant la première progression est retardé de 42 % et celui avant la progression confirmée de 37 %. Le masitinib se compare favorablement à l’ocrevus, au siponimod et à la biotine ».
Le masitinib a également considérablement réduit le risque d’atteindre un score EDSS de 7.0, ce qui correspond à une incapacité suffisamment grave pour que le patient soit obligé d’utiliser un fauteuil roulant. « Un retard significatif dans la progression de l’EDSS, y compris le délai avant un score EDSS de 7.0, est un marqueur d’un avantage pertinent dans la SEP, souligne Robert Fox. De plus, l’effet du traitement était cohérent dans les deux phénotypes de la maladie, PPMS et nSPMS ».
« L’étude a démontré un avantage durable du changement EDSS sur une durée de deux ans, avec un bénéfice observé dès la 12e semaine, souligne Friedemann Paul. Une réduction de 37 % du risque de progression confirmée de l’invalidité est très pertinente d’un point de vue médical. De plus, le profil de sécurité du masitinib semble approprié pour une administration à long terme, car il n’est pas immunosuppresseur ».
Conclusion ? « Les données cliniques sont extrêmement encourageantes et offrent un nouvel espoir aux patients atteints de SEP progressive », estime Patrick Vermersch, tandis que Robert Fox évoque « une avancée significative pour les formes progressives de SEP ». AB Science va désormais présenter les résultats détaillés de cette étude lors d’une ou plusieurs grandes conférences scientifiques.
Fort de cette validation scientifique, la biotech va ensuite consulter les autorités, la FDA américaine (lors de la réunion EOP2) et l’EMA européenne (via les avis scientifiques), pour discuter de la suite du développement du masitinib dans le traitement des formes progressives de la SEP. Si l’on se fie aux guidelines de ces autorités, le scénario le plus probable à ce stade est le lancement d’une nouvelle étude de confirmation, avant un possible enregistrement en tant que médicament contre les formes progressives de la sclérose en plaques.
Sources